Projet scientifique

Projet scientifique de la SCR ARPEGE 2021-2025

 

Les activités scientifiques amorcées ces quatre dernières années (2017-2020) se structurent autour du développement de la thématique de l’Axe 1. Genre, Sciences et Santé, permettant de répondre aux demandes de partenariats des collègues des disciplines hors SHS (UT3, INSERM, INRA, Ecole d'Ingénieurs de PURPAN, etc.) et ayant également permis un renouvellement d’une partie des membres du réseau de recherches ARPEGE et de tisser de nouveaux partenariats scientifiques sur les questions de genre. La recherche GESCI : Les sciences au prisme du genre (2019-2021) bénéficie d’un financement du Labex SMS, opération Mondes Scientifiques. Un ouvrage collectif, fruit de ces travaux, est en cours de rédaction et sa publication est envisagée pour fin 2021. Cette thématique reste un axe fort d’ARPEGE pour les années à venir.

Malgré la brillante et riche tradition française de philosophie et d’épistémologie des sciences (représentée notamment par G. Bachelard, A. Koyré, G. Canguilhem, M. Foucault) et de sociologie des sciences (B. Latour), l’analyse interdisciplinaire des sciences (appelée « Sciences Studies » par les anglo-américains) n’a pas rencontré, ou fort peu, les études de genre. Aux Etats-Unis, cette rencontre a eu lieu grâce à des chercheuses (physiciennes, biologistes, généticiennes) qui ont porté une analyse critique sur leur propre discipline (D. Haraway (2007) ; E. Fox Keller (2014) ; A. Fausto- Sterling (2012), par exemple). En France, cette relecture critique des sciences du vivant est restée assez marginale. Depuis quelques années, des « passeuses » valorisent dans le monde francophone la richesse tant empirique qu’épistémologique des « Feminist Sciences Studies » grâce à la traduction des œuvres majeures et à la circulation des concepts et théories. Il s’agit principalement de la philosophe C. Kraus (2016) (Université de Lausanne), de l’historienne D. Gardey (2013) (Université de Genève) ou de la sociologue I. Löwy (2005) (Inserm). Tout récemment, deux livres montrent l’essor du domaine et tout ce qui reste à faire (J. Wiels et E. Peyre 2015, et A.-M. Devreux, 2016).

A partir d’une approche thématique et transversale, ces recherches ont pour ambition de réunir des spécialistes en études sur le genre relevant de différentes disciplines des sciences humaines et sociales (anthropologie, histoire, sociologie, études culturelles, etc.) et de croiser les différentes perspectives de recherche avec les apports de disciplines variées (droit, endocrinologie, épidémiologie, biologie, médecine, etc.). Comment et en quoi les études sur le genre travaillent et retravaillent les disciplines scientifiques ? Comment la prévalence de l’androcentrisme des sciences – de toutes les sciences – qui n’est plus à démontrer (Mathieu, 1991 ; Devreux, 2016), crée des apories au sein des connaissances scientifiques, et questionne de manière centrale les pratiques scientifiques, particulièrement au sein des sciences dites « dures » ? A partir de ces questions générales de recherche, il s’agit d’une part de réfléchir aux apports d’un concept issu des sciences humaines et sociales pour les autres sciences et d’autre part, de pointer les écueils de la recherche contemporaine et par là-même, formaliser les voies d’évolution et de collaborations de recherche, à travers la constitution d’un réseau de chercheur·e·s. L’ensemble de ces réflexions permettra de faire émerger une posture théorique commune sur le genre et des définitions consensuelles du rapport sexe/genre, du système de genre, de l’ordre de genre, etc., au-delà des objets de recherche et des champs scientifiques concernés.

Cette proposition de dialogue interdisciplinaire, ancrée dans une épistémologie du genre, est envisagée à partir de trois grandes entrées thématiques, portant sur trois axes de réflexions et de débats centraux aux sein des études et recherches sur le genre contemporaines qui vont recouper en partie les thèmes de l’Axe 4 sur les Etudes LGBTQI+ (les questions inter et transgenre, corps et santé, contrôle de la sexualité/des corps).

Un premier focus sera réalisé sur l’expérience des personnes transgenre. Initialement prises en charge par la psychiatrie, tout en continuant à faire l’objet de recherches dans le champ de la médecine (non plus seulement dans la perspective de soigner mais dans celle d’accompagner et de permettre la transition d’un sexe à l’autre). Dans la période contemporaines, les revendications ne vont plus seulement dans le sens d'une réassignation médicalement assistée mais également d'une dé-pathologisation des parcours trans. Ces recherches ont suscité dès les années 1980 l’intérêt des sociologues, des anthropologues, des historien·ne·s et des juristes (Houbre 2014 et Hérault 2014, notamment). L’expérience des intersexe en France reste encore, à l’exception de quelques travaux notamment en droit (Moron-Puech 2016), largement méconnue et sous-documentée.

Un deuxième focus s’attachera à approfondir les apports épistémologiques de la critique féministe des sciences. Celle-ci met en évidence l’androcentrisme des sciences, puisque, quels que soient les savoirs, le sujet masculin est perçu comme un modèle universel, incarnant l’humanité, tandis que les femmes sont renvoyées à une spécificité plus ou moins étroite et marginale. Cette asymétrie et hiérarchie du masculin et du féminin renvoie à la « valence différentielle des sexes » (Héritier, 1996). De nombreuses spécialités ou théories ont contribué à exagérer, inventer ou figer les différences entre les sexes, produisant une bicatégorisation sexuelle naturalisée et hiérarchisée.

Un troisième focus autour du contrôle de la sexualité et des corps au prisme du genre s’articule autour des enjeux contemporains des formes de contrôle – politique, médical, judiciaire et social – qui s’exercent sur la sexualité des femmes, ainsi que sur les facteurs de résistance qui émergent. Interroger la question de la reproduction au prisme des sciences sociales, juridiques, des sciences du vivant et de la médecine permet de cerner plus précisément le phénomène de glissement historique du contrôle légal et judicaire des corps à l’encadrement et au contrôle médical des corps des femmes (Ruault et Mathieu, 2014). Du côté des sciences médicales, de manière générale, le recours à l’avortement doit rester un fait exceptionnel, alors que du côté des sciences sociales, il est considéré comme un phénomène social classique (Bajos, Ferrand et Andro, 2010) au regard de sa prévalence. De fait, les sciences sociales ne vont pas appréhender ce phénomène de la même manière que la médecine, qui va avoir tendance à l’appréhender par le biais d’une problématique individuelle et le transformer en phénomène médical à éviter et à limiter dans la population. Ainsi, les réflexions menées au sein des sciences sociales vont plutôt porter sur ses conditions d’accès et de réalisation.

Le projet scientifique entend approfondir les différentes perspectives critiques tout en initiant un rapprochement avec des chercheur·e·s en sciences de la vie de l’Université Paul Sabatier et de l’INSERM notamment. Ces dernier·e·s, endocrinologue, biologiste, épidémiologiste, diabétologue, etc. considèrent que leur savoir s’est trop construit sur le modèle masculin et que, du même coup, des phénomènes restent insuffisamment connus tels, par exemple, les fonctions positives des tissus adipeux après la ménopause, le dimorphisme sexuel des réactions toxicologiques ou la symptomatologie différenciée des maladies cardio-vasculaires. Ce rapprochement avec les sciences de la vie apportera des terrains d’enquête ainsi que le repérage d’archives ou de témoignages propres à nourrir l’histoire des sciences au prisme du genre. De façon plus théorique et épistémologique, il permet d’aller au-delà de la logique sexe/genre telle qu’elle a gouverné la critique féministe des sciences de ces 30 dernières années. Après avoir démontré brillamment combien les sciences avaient contribué à la naturalisation du genre, sous le nom de sexe, elle a affirmé la construction discursive du sexe. Mais la sexuation marque bien de son empreinte les corps et, sans revenir à la bicatégorisation sexuelle, ni à la hiérarchie sexuelle ou à l’androcentrisme, il convient de l’explorer. De même, sur la thématique du contrôle de la sexualité et des corps, le dialogue entre différentes disciplines (sciences sociales et médecine notamment) permet de mettre en évidence deux visions du monde qui s’opposent, et qui sous-tendent des postures radicalement différentes par rapport à la manière d’envisager le travail de reproduction, entraînant une réflexion sur les dépositaires et les contraintes du corps médical. Par ailleurs, parce que les parcours des intersexe et des transgenre interrogent la bi-catégorisation sexuée, l’idée de la permanence de l’appartenance à un genre et la place du corps dans l’assignation à un genre donné, et impliquent dans de nombreux cas en France l’intervention de la médecine, ils offrent un terrain particulièrement propice à des collaborations jusqu’ici inédites entre les sciences humaines et sociales d’une part et les sciences du vivant d’autre part ; des collaborations qui pourront également s’ouvrir au droit.

Par ailleurs, depuis les années 1980, les études de genre ont connu un profond renouvellement dû aux critiques formulées contre la pensée féministe « blanche » et occidentale. Les fondements des analyses et des pratiques issues de cette pensée ont été remis en cause par des féministes afro- américaines, hispano-américaines et indiennes (Collins, 1990 ; Crenshaw, 1991 ; Anzaldúa, 1981 ; hooks, 1984 : Spivak, 1988 ; entre autres). La prise en compte de l’hétérogénéité des statuts sociaux et des expériences des femmes s'est imposée contre une norme de féminité universelle et homogène, conduisant à une analyse de l’oppression et des discriminations à partir des effets conjugués des rapports de classe, de « race », de genre, associés à l'hétérosexualité normative. En France, les travaux de Colette Guillaumin (1992) signalaient déjà l'intrication des pratiques de pouvoir ; les traductions des analyses intersectionnelles (Dorlin, 2008 ; Nouvelles Questions Féministes, 2005) ont ensuite été publiées aux côtés de travaux consacrés à la pluralité (Fougeyrollas-Schewbel, Lépinard et Varikas, 2005), au contexte post-colonial et à la 'colonialité' du pouvoir (NQF, 2006 ; Sanna et Varikas, 2011), et aux nouvelles divisions du travail liées à la mondialisation (Falquet, Hirata, Kergoat, Labari, Sow, Le Feuvre, 2010). Les situations inégalitaires sont désormais bien documentées et répertoriées (travaux publiés par le Haut Conseil à l'Égalité, notamment), les politiques et les préconisations en faveur de l'égalité femmes-hommes se multiplient, et pourtant les blocages perdurent. La lutte contre les stéréotypes de sexe est définie comme un axe prioritaire ; elle se doit d’être poursuivie mais reconsidérée à partir du renouvellement des catégories de pensée et de la nécessaire renégociation des normes, afin de lever ce que nous identifions comme deux verrous principaux qui entravent le dépassement de ces blocages. D’une part, un héritage prégnant : la société française demeure extrêmement sensible à un rationalisme dialectique qui favorise les logiques binaires, les formalisations disciplinaires et une approche qui néglige les articulations entre théorie et pratique. D’autre part, « les stéréotypes de sexe », qui représentent la catégorie fonctionnelle en usage, reconduisent les logiques binaires et postulent une différence qui n'est pas pensée en articulation avec d'autres hiérarchies, d'autres discriminations et d'autres ségrégations. Cette extraction artificielle contribue à figer cette différence, à lui conférer un caractère anhistorique, autrement dit à alimenter la fiction d'une « nature » à l'origine d'un classement social.

Les nouveaux cadres que nous nous proposons de co-construire avec nos partenaires locaux s’appuieront sur une série de dispositifs dynamiques d'impulsion et de valorisation de leurs stratégies (scientifiques, culturelles, de formation et de management) en matière de genre. Nous postulons, d'une part, que les études de genre constituent un moteur puissant d'innovation pour ces partenaires dont l'impact socio-économique est lié à des dynamiques de transformations sociales ; et d'autre part, que ces partenaires représentent un espace fécond de circulation de nouvelles normes qu'il nous importe de mettre en évidence, d'analyser et de valoriser en tant que terrain d'investigation.

Le croisement des problématiques de genre et du féminisme avec celles de l’engagement a connu un certain essor depuis la deuxième moitié des années 2000 (Axe 3. Féminismes, engagements et représentations). Des séminaires de recherche et des colloques ont été organisés récemment sur cette thématique dans diverses institutions de recherche.Ils proposent une analyse de la reproduction des rapports de pouvoir au travers des pratiques militantes (principalement syndicales et partisanes), qu'elles soient de gauche ou de droite, progressistes ou conservatrices. Les enquêtes empiriques qui nourrissent ces travaux montrent surtout comment les mouvements ou les institutions politiques et syndicales, quels qu’ils soient, reproduisent en leur sein la division genrée du travail militant et contribuent à hiérarchiser les revendications.

Si ces recherches ont contribué à complexifier les engagements collectifs en montrant comment ils sont traversés par plusieurs déterminations sociales (de genre, de classe, de nationalités, de génération, d’âge, etc.) l’impact de ces engagements collectifs sur les institutions n’a pas reçu une attention aussi systématique. Pourtant des recherches récentes invitent à reconsidérer la coupure longtemps présumée entre mouvement social et institutions. À partir de sa recherche sur la parité, Laure Bereni par exemple a défini un « espace de la cause des femmes » qui inclut au côté du mouvement des femmes des structures beaucoup plus institutionnelles qu’elle désigne sous les termes de pôles (académique, syndical, partisan, étatique, etc.). De fait, il a une circulation importante et dans les deux sens entre les mouvements sociaux et les institutions. Les mouvements donnent lieu à des formes d’institutionnalisation plus ou moins pérennes telles que coordinations, associations, réseaux informels ou non. Des individu·e·s transforment leur engagement civil en engagement politique ou professionnel tandis que les institutions quelles qu’elles soient (entreprises, collectivités territoriales, universités, etc.) recrutent des chargé·e·s de mission, font appel à des conseiller·e·s et doivent plus généralement répondre aux demandes des usager·e·s, des salarié·e·s, des consommateur·trice·s, etc.

Des thèmes de recherche pourront être privilégiés (mais non exclusifs) comme l’analyse des mouvements sociaux, les transformations du monde académique, ou encore la mise en place de politiques d’égalité, développés ci-après.
Pour l’analyse des mouvements sociaux, et afin de favoriser la comparaison, trois types de mouvements sociaux pourront être considérés : les mouvements de femmes (dans les sociétés latino-américaine et en France, plus particulièrement à Toulouse) ; les mouvements progressistes mixtes tel celui de la cause environnementale (agroécologie, revendication de nouveaux liens consommateurs producteurs comme les AMAP, lutte pour de nouveaux liens sociaux autour de la nature en ville – par exemple les jardins partagés) ; et enfin des mouvements d’extrême droite (depuis la Collaboration jusqu’au Front national). Cette diversité tant dans les contextes d’émergence que dans les compositions sociales et revendications politiques offrira un large panel d’investigation. On s’interrogera sur les places et les rôles des hommes et des femmes dans ces mobilisations collectives ainsi que sur les espaces de mixité ou de ségrégations qu’ils offrent. Les motivations des hommes, très minoritaires mais présents dans les mouvements féministes (parfois misandres) tout comme celles des femmes dans les mouvements d’extrême droite (pourtant très virilistes) méritent analyse. On essayera alors de comprendre comment dans l’histoire de luttes politiques plus larges, les engagements des femmes se singularisent, se différencient mais aussi peuvent être négligés, déconsidérés ou au contraire être rattrapés, intégrés par des mouvements qui ont une position plus dominantes (par exemple autour des questions environnementales). Le champ sportif sera également examiné sous l’angle des « mobilisations de femmes en tant que femmes » et des luttes contre l’homophobie. On s’attachera notamment dans cette analyse aux modalités de positionnement féministe, anti-sexiste et anti-homophobe en analysant les discours et les pratiques des collectifs concernés. Outre les questions de genre, on portera aussi l’accent sur l’intersectionnalité des dominations et des engagements. Ainsi les luttes identitaires caractéristiques des sociétés multiculturelles latino-américaines s’articulent à des luttes politiques menées contre des régimes autoritaires et des situations d'extrême violence. En France les luttes contre le sexisme, contre l’homophobie ou contre le racisme ne se cumulent pas aisément et rentrent souvent en contradiction.

Du côté des transformations du monde académique, le cas des intellectuel·le·s, et particulièrement des universitaires engagé·e·s dans la promotion du féminisme et des études de genre, retiendra principalement l’attention ici. D’une part, il sera intéressant de retracer leurs carrières et leurs parcours, parfois atypiques dans le milieu académique depuis la fin du XIXe siècle jusqu’à la période la plus contemporaine, ainsi que d’explorer les récits qu’elles en ont souvent donnés (mémoires, autobiographies, entretiens biographiques parfois filmés, etc.). Dans cette perspective peut s’inscrire l’étude de la place et de l’engagement des femmes dans une discipline comme l’archéologie, mais aussi l’histoire, les STAPS (Sciences et Techniques des Activités Physiques et Sportives), disciplines longtemps presque exclusivement masculines, aussi bien d’un point de vue historiographique que sociologique. Parallèlement aux études réalisées à partir des archives, une enquête de terrain est par exemple à mener dans les laboratoires CNRS et les institutions de l’archéologie préventive et programmée sur ces questions, à l’heure où la première génération d’archéologues femmes et professionnelles part à la retraite. Des analyses approfondies de données longitudinales sexuées pourront être effectués afin d’étudier les trajectoires des femmes mobilisées dans le domaine des sciences expérimentales, physico-chimiques et des mathématiques (par exemple la formation de l’association « Femmes et Sciences », partenaire d’ARPEGE), mais également dans le cadre des travaux de la mission pour l'égalité de genre et contre le harcèlement sexuel et les violences sexuelles et sexistes de l’UT2J.

On se propose de même d’examiner l'engagement des universitaires (philosophie, philosophie du droit, anthropologie) et des écrivaines féministes hispanophones afin d'inscrire leur militantisme dans un dialogue interculturel permettant de renouveler nos approches et nos catégories. Les questions que le genre pose au multiculturalisme (Femenías) ou celles que la violence de genre pose à nos sociétés contemporaines (Aponte Sanchez, Lucía Melgar) sont des problèmes que les féministes latino-américaines rendent visibles à partir de leur contexte, et les perspectives qu'elles développent peuvent contribuer à interroger les formes d'opacité que maintiennent nos sociétés européennes postcoloniales. L’on pourra ainsi tirer bénéfice de changements de focales et d’échelles (locale, nationale, voire, dans une approche comparative, internationale), dans une réflexion sur les concepts et sur les terrains dans lesquels ils sont mobilisés.

Enfin, la mise en œuvre de l’égalité entre les femmes et les hommes désormais promue par les politiques publiques ne va pas sans un engagement au niveau microsocial que l’on se propose ici de mieux appréhender (Axe 2. Politiques du genre). On tentera de comprendre l’engagement au travail au sein des associations féministes et de défense des droits des femmes et de l’égalité, entre engagement militant, bonheurs et souffrances au travail. Saisi notamment sous l’angle de l’usure au travail, on explorera plus avant les dimensions sexuées du vécu de l’engagement individuel en faveur de la promotion de l’égalité entre les sexes dans ces différents univers (professionnels et associatifs), en interrogeant les freins et les leviers à celui-ci. La question des frontières du travail et de l’engagement au travail sera au cœur des réflexions, avec notamment une recherche sur les enjeux sexués du bénévolat et du volontariat. La richesse de l’arsenal juridique est loin d’avoir éradiqué les inégalités professionnelles entre les femmes et les hommes. Malgré les obligations légales des entreprises en matière d'égalité qui n'ont cessé de se renforcer ces dernières années, des résistances sociales à l'intégration de l'égalité femmes-hommes sont à l'œuvre. Le dialogue social dans l'entreprise peut jouer un rôle structurant pour créer les conditions de mise en œuvre effective d'une politique d'égalité professionnelle. Dans ce contexte, il semble particulièrement intéressant de regarder les pratiques syndicales et leur engagement volontariste en la matière.

Nous nous proposons également de sonder in situ les nouvelles dynamiques des politiques d’égalité professionnelles femmes/hommes au sein des entreprises industrielles (aéronautique, par exemple) et de dégager les nouvelles configurations de carrière des femmes (cadres et autres catégories). Il s’agit ici de mesurer en quoi l’engagement volontariste dans la mise en œuvre d’un plan d’action pour l’égalité par une entreprise internationale produit des effets sur les configurations de carrière des femmes cadres. Ces renouveau des formes d’engagement pour l’égalité des sexes, à la fois individuelles et collectives, dont les dimensions sont à la fois idéelles et matérielles, analysées au niveau macro, méso et micro au sein de l’entreprise, sont susceptibles de créer non seulement des opportunités, mais dessinent dans ce contexte de nouveaux types de carrières pour les femmes cadres dans un contexte de mise en œuvre et d’expérimentation actuelle de l’égalité professionnelle femmes-hommes en entreprise. La question de l’égalité de genre sera aussi appréhendée via la compréhension qu’en ont les fonctionnaires de la fonction publique d’Etat et de la fonction publique territoriale. Une attention particulière sera portée aux pratiques langagières. Quelles sont les pratiques de rédaction non sexistes et non discriminatoires aujourd’hui observées dans les milieux militants et institutionnels (administrations publiques, organisations professionnelles)? Les politiques publiques intègrent-elles la féminisation linguistique, et, le cas échéant, sous quelle forme (formations à la désexisation?). Dans quelle mesure les associations de promotion de l’égalité considèrent que les contraintes formelles du genre dans l’expression quotidienne sont un frein à l’émancipation du masculin pseudo-générique ?

Enfin, un des derniers axes des politiques du genre concerne la lutte contre le harcèlement sexuel à l’université et les actions innovantes dans l’enseignement supérieur. Cette dimension du programme de recherche, liée aux travaux de la mission égalité femmes/hommes de l’université Toulouse Jean Jaurès (sous la direction de Marie-Agnès Palaisi), vise à traiter la question du harcèlement sexuel à l’université et de ses enjeux. Afin de considérer le phénomène dans une approche en termes d’innovation sociale, il s’agit ici de développer des actions de sensibilisation au harcèlement sexuel à l’université, en créant par exemple des commissions et des partenariats avec des personnes et structures extérieures (associations, expertise des associations féministes, CLASHES, élu-e-s, etc.) afin de développer un programme de formations sur la question du harcèlement sexuel à l’université dans ses différentes dimensions (formation des personnels, communication, diffusion de l’expertise, etc.). Ces actions se réfèrent à la feuille de route de la mission égalité femmes/hommes de l’UT2J, traitant à la fois du harcèlement sexuel, mais également de la question de la formation des personnels au genre (administratifs et/ou enseignants) et à la réflexion sur les biais genrés qui recréent de manière incessante les inégalités de sexe par le biais de la production des savoirs scientifiques (par exemple en sciences dures : exemples de la biologie, de la médecine, etc.). Ces travaux pourront donner lieu à un partenariat avec le réseau national des chargées de mission égalité des universités. L’opérationnalisation de ces différents partenariats permettra de mettre en avant l’expertise scientifique des membres d’ARPEGE en termes de violences de genre.